Arreste toy Passant, il faut que de ce temple
Tu rapportes chez toy et l’une et l’autre exemple
Que je donne en doublant ma vie par ma mort ;
L’un est de reverer ce que l’on hait à tort,
L’autre de mespriser ce que tant on embrasse.
Les grands biens, les honneurs, les beautés, et la grace
Que je receu du ciel, sembloient ja bien heurer
Le songe de ma vie, et vouloient m’asseurer
Bien souvent qu’une courte et vaine renommée
Tiendroit sans fin ma mort sous ses piés assomée.
Mais je sçeu que le bien, qu’aveuglement on prise
Fait oublier le bien, qui nostre tombeau brise ;
Je sçeu pareillement que la felicité
N’est point qu’après la mort, et que la pauvreté
Est toujours avecq’ ceus à qui l’ardente rage
Ne permect de leurs biens un honorable usage ;
Tant que ne voulant pas faire estoupher mon nom
Dans un bien perissable, et qu’un riche Brynon,
Fait pauvre par la mort, n’eust aulcune richesse
Qui peust contre la mort revanger sa jeunesse
Je me mis à aymer le bien qui ne meurt pas,
Et qui, m’apauvrissant, m’enrichit au trespas.
De ce bien l’on ne fait en ce siecle aulcun conte,
Mais ce seul bien la mort et les siecles surmonte.
Ce bien m’apauvrissoit et faisoit que l’Envie
Grinssoit souvent les dents contre l’heur de ma vie :
Mais l’Envie me laisse or que mon corps n’est rien,
L’autre bien m’a laissé, si ce doibt nommer bien,
Ce seul bien m’a suivi que j’avois voulu suivre,
Revivant par cela que plus j’avois fait vivre.
Or A dieu, fay toy sage, et remaschant en toy
Qu’on meurt heureusement quand on meurt comme moy,
Respan plus tost des fleurs que des pleurs sus ma cendre,
Puisque l’ombre ne peut dedans l’oubli descendre.